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Arnaud Dezoteux. "Apprends et rêve"

Du 12 octobre 2024 au 9 mars 2025

Le Mrac Occitanie inaugure Apprends et rêve, une exposition personnelle d’Arnaud Dezoteux présentant les fruits de ses dernières recherches par le biais d’œuvres audiovisuelles inédites. S’épanouissant dans le domaine des arts visuels, les films et travaux vidéos d’Arnaud Dezoteux empruntent, suivant le cas, le vocabulaire du documentaire, de la télé-réalité, du film animé ou de la fiction, en perturbant nos rapports à la réalité. Il parvient grâce à de nombreux subterfuges, à transporter son audience dans des lignes narratives complexes, entre traitement précis d’un sujet et sa remise en question systématique. S’intéressant à la narration et à sa mise en scène dans la fiction, l’artiste joue une certaine transparence dans ses productions filmiques, le décor et son envers étant présentés au même niveau, soit par la présence même du studio de tournage, des effets spéciaux volontairement maladroits ou des circonstances narratives inattendues. Il se plait à mélanger les genres et à surprendre en maniant les codes de la télé-réalité, à produire des films dans lesquels les effets spéciaux fusionnent avec le décor fond vert, les documentaires d’informations réalistes devenant des fictions et vice-versa, le dessin animé s’incrustant dans la réalité. Avec humour ou en usant d’une certaine dramaturgie, Arnaud Dezoteux compose avec les habitudes visuelles et culturelles du spectateur, l’histoire du cinéma, ses mythes, et la progression technologique de toute forme de médias audiovisuels. Il cherche ainsi à mener une réflexion sur les degrés de réalité et de reconnaissance de celle-ci dans l’imagerie contemporaine.

Conceptuellement, il s’intéresse aux nouveaux modes de vie inspirés par les domaines de l’art, des thérapies alternatives et des spiritualités orientales. Ces derniers ont colonisé le monde du travail et toute la sphère sociale, pour améliorer la productivité du capitalisme tardif, bien que passant pour des moments de détente, de loisir ou de care (soin). Ce phénomène déjà analysé dans Le nouvel esprit du capitalisme d’Ève Chiapello et Luc Bolanski dès la fin des années 90, s’est amplifié et s’est accéléré à partir du début des années 2000 jusqu‘à aujourd’hui, notamment suite aux avancées technologiques d’internet et à la présence des smartphones dans nos vies. L’art d’Arnaud Dezoteux est profondément imprégné par la machinerie numérique, qu’il s’agisse de son utilisation du softwar (qualité des images, effets spéciaux, affectation du comportement des sujets et acteurs de ses réalisations par la présence de la technologie dans leur vie) ou du hardwar (visibilité des logiciels et esthétique internet, la présence ou les effets matériels des machines dans ses réalisations : drones, caméras numériques, iPhones…). Esthétiquement, l’art d’Arnaud Dezoteux nous projette dans des univers fantasmagoriques ou bien strictement réalistes, d’une image en haute-définition à une autre voilée et mystérieuse, en passant par des animations d’un genre loufoque et naïf. Quelle qu’en soit l’atmosphère, l’artiste ne revendique pas la perfection, ses réalisations ne sont jamais parfaites. Les effets bricolés fuient de partout, les maladresses et le manque de peaufinage apparaissent progressivement lors du visionnage, un peu à la manière dont les formes apparaissent lorsqu’on ouvre les yeux dans l’obscurité. Il laisse place à ce qui est habituellement effacé en post-production, afin de mieux laisser paraitre les absurdités qu’il cherche à questionner dans notre univers médiatique.

Dernièrement, sa méthode de travail s’est quelque peu modifiée pour privilégier la captation de scènes du quotidien, telles qu’elles se présentent dans l’espace urbain, à l’aide d’un appareillage technique léger, voir « pauvre », pour se concentrer sur des lieux iconiques de la culture telle qu’elle s’offre de nos jours au public. Appliquant une technique de montage élaborée bien qu’à partir d’élément filmés conservés tel quel, l’artiste dynamise ces scènes par l’incrustation d’animaux en dessins animés. Le grotesque et l’incongruité de leur comportement prêtent souvent à sourire malgré leur état d’épuisement instillant du désarroi.

Avec Apprends et rêve, l’artiste propose une immersion au cœur de ces dernières créations. Son titre s’inspire des slogans publicitaires à double discours, omniprésents dans le paysage médiatique actuel, visant à nous faire croire que nous sommes libre d’agir alors qu’en réalité, nous n’en avons pas vraiment le choix. Le visiteur y est comme happé dans une certaine monumentalité, celle de la projection de film cinématographique, mais aussi une sorte de pastiche de spectacle dans lequel ses œuvres s’illuminent et clignotent, pour apporter un commentaire sur la généralisation des mappings vidéos dans les appétences culturelles des consommateurs de culture. Il s’agit justement du sujet de Somme (2024) pour lequel l’artiste s’est rendu dans un lieu « d’expositions immersives » à Paris pour filmer les différentes ambiances audiovisuelles offertes au public par ces lieux culturels d’un nouveau genre. L’artiste y capte des bribes qu’il cadre en fragments, transformant cet univers grandiose et spectaculaire en composition abstraite relevant du cinéma expérimental. Il complète ces images par la présence de souris et autres animaux en dessin-animés, se fondant dans le décor, et ne semblant pas s’offusquer du brouhaha, trop occupés à profiter de leur sieste. Sur de curieuses sculptures/architectures, Arnaud Dezoteux s’inspire également des mappings avec humour pour développer plusieurs animations numériques à partir de boites de carton et de papier d’emballage affichant une certaine fragilité. Chacune d’elles déploie une thématique : Sweet routine (darty-auteur@urssaf.fr) (2024) la cuisine en kit « Darty" pleine de produits alimentaires issus de la grande distribution, Sweet routine (autorun) (2024) le jogging comme garantie de performance au travail, dans un espace public surveillé par des IA et 100% gagnant (2024) le gaz dans tous ses états avec l’augmentation de son cours, les bonbonnes de stations-services et leurs jeux gagnants, ou encore le confort domestique grâce aux diffuseurs d’huiles essentielles. Il émane de ces sculptures des effets visuels où se rencontrent rationalisme et performance de l’homo numericus, cinéma expérimental et publicité virant en trip psychédélique. Projetée dans un ensemble de mobilier de salle de réunion, Niche (2021) a été réalisée au jour le jour par l’artiste lors des récents confinements. À quelques pas de chez lui, il a filmé l’extérieur de la Philharmonie de Paris de l’extérieur, se heurtant aux façades vitrées reflétant les alentours de ce vaste équipement culturel alors inopérant pour son public. Il s’est néanmoins introduit à l’intérieur grâce à l’œil caméra pour y découvrir une activité professionnelle toujours en cours, préparant une potentielle réouverture. Parallèlement à cette activité humaine, il incruste une activité animale en roue libre (pangolins urinant, chauve-souris crachant, vers grouillants sur un distributeur de repas…) ayant également pris possession de ces locaux vides pendant cette période de semi-activité. Ces petits animaux plus ou moins drôles, un peu dégoutants mais néanmoins attachants, sont le fil rouge de cette série de projets et donc, de cette exposition. On les cherche dans les films, ils apparaissent lorsqu’on ne les attend pas et se tapissent aussi dans les zones d’ombre des images. Leur présence devient le prétexte à une observation quasi documentaire des différents espaces dans lesquels ils sont incrustés. On les trouve enfin dans Tertre (2024), dernière projection de Apprends et rêve, filmé par l’artiste sur la - trop - célèbre place du Tertre à Montmartre, haut-lieu touristique, place des « artistes » (surtout des portraitistes et caricaturistes), quoique toujours plus colonisée par les terrasses de cafés et de restaurants. Arnaud Dezoteux est venu y capter des instants de flâneries touristiques en fin de pandémie, lors de journées hivernales pluvieuses. Il a choisi de resserrer particulièrement le cadre sur les équipements touristiques, les boutiques de souvenirs, les artistes vieillissants désœuvrés et, bien entendu, les touristes, faisant l’expérience de la fantasmagorie parisienne, entre jouissance et désenchantement.

Les œuvres d’Arnaud Dezoteux nous incitent ainsi à observer les nouvelles formes d’exploitation, de recherche du bonheur, de consommation générale ou culturelle, et d’organisation humaine, de même que les aspects pervers de la technologie. On remarque ici la manière dont le marketing, la récupération marchande et le traitement des médias amputent toute forme de culture originale de ce qui en composait l’essence. Mais loin de s’imposer comme une critique de l’aboutissement d’une culture consommable comme tout autres produits industriels, Apprends et rêve cherche plutôt à articuler le rapport étrange entre consommation culturelle de masse, activité laborieuse post-fordiste, tourisme désenchanté, précarité, marketing sauvage, et cette drôle d’absurdité que demeure la volonté artistique aujourd’hui.

Texte : Benoît Lamy de la Chapelle, curateur et directeur du Centre d’art contemporain - la synagogue de Delme.


Arnaud Dezoteux est né à Bayonne en 1987 et vit et travaille à Paris. Il est diplômé de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Après une exposition personnelle à la galerie Edouard Manet à Gennevilliers (2016), dédiée au “fandome” de l’acteur Keanu Reeves, il a présenté son film de fantasy Miroir de Haute-Valnia au Centre Pompidou (2017) et un projet autour de Billy the Kid à la Fondation Pernod-Ricard (2021). En 2023, son film Grandeur Nature était en compétition officielle à la 45ème édition du Cinéma du Réel. Ses projets ont par ailleurs été montrés aux Bains Douches à Alençon, au Confort Moderne à Poitiers, à Lafayette Anticipations à Paris, à Tin Flats à Los Angeles, au Centre Pompidou Malaga et à la galerie Forde à Genève.

Arnaud Dezoteux, "Somme", 2024. Vidéo 4K en boucle © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Somme", 2024. Vidéo 4K en boucle © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Somme", 2024. Vidéo 4K en boucle © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Somme", 2024. Vidéo 4K en boucle © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Niche", 2021. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Niche", 2021. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Tertre", 2024. Vidéo HD © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (dartyauteur@ urssaf.fr)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (dartyauteur@ urssaf.fr)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (autorun)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (autorun)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (dartyauteur@ urssaf.fr)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (dartyauteur@ urssaf.fr)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024.
Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (autorun)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024. Arnaud Dezoteux, "Sweet routine (autorun)", 2024. Technique mixte (mapping vidéo, sculpture) © ADAGP Paris 2024.