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"Développement durable"
Neil Beloufa

Du 1er juillet au 22 octobre 2017

Commissariat : Sandra Patron

Au travers d’installations complexes dans lesquelles dialoguent et s’entrechoquent films, sculptures et peintures éclatées dans l’espace sans hiérarchie apparente, Neil Beloufa développe depuis quelques années une oeuvre qui interroge et déjoue les systèmes de nos représentations contemporaines. Son travail apporte un regard à la fois grinçant et engagé sur le devenir-design de nos sociétés, où l’esthétique et le langage sont au service d’un réel façonné et instrumentalisé par une industrie du spectacle toute-puissante ou tout au moins qui se pense comme telle.

La prolifération actuelle des images et des objets entraîne bien souvent une voracité nauséeuse où l’homme contemporain ne cesse de courir après une pseudo-nouveauté qui au final le paralyse. Le philosophe et romancier Tristan Garcia nomme joliment ce symptôme : l’épidémie des choses*. Une telle épidémie semble à l’oeuvre dans les installations de Neil Beloufa : les films sont déconstruits par des dispositifs de monstration qui projettent et démultiplient les images à la fois sur les murs, sur des tableaux et sculptures hybrides, opérant un brouillage tant visuel que conceptuel. Totalement immergé dans les installations de l’artiste, le spectateur ne sait s’il est embarqué dans quelque futur dystopique ou bien au cœur de nos névroses contemporaines. Mais ce qui semble évident, c’est que l’artiste joue d’une connivence avec le spectateur, en activant, s’appropriant et par la même déjouant les lieux communs et stéréotypes qui peuplent notre quotidien. Le spectateur est ainsi placé dans une situation tout à la fois active et inconfortable : physiquement d’abord, car la rétine et le corps sont sollicités jusqu’au vertige ; conceptuellement ensuite, tant les propositions de l’artiste jouent sur de multiples ambiguïtés, dont celle, et non des moindres, qui consiste à utiliser les armes de séduction massive du marketing pour mieux les interroger et les déjouer. Les caméras de surveillance, les prothèses visuelles ou auditives présentes dans nombre de ses installations, rejouent ainsi les mécanismes de contrôle de nos sociétés à l’autoritarisme soft.
Il y a quelque chose d’Ulysse chez Neil Beloufa, un Ulysse maître de ce que les grecs appelaient la Mètis, une structure de pensée dans laquelle on ruse avec la règle pour mieux la déjouer. Car ne nous y trompons pas, le désenchantement affiché par l’artiste côtoie un engagement et un attachement sincère dans des modèles alternatifs et une forme de désir dans le collectif comme lieu d’une transformation possible.

Son exposition personnelle au Mrac témoigne de ces multiples enjeux et déroute dès son titre pour le moins ambigu. "Développement durable" est un terme volontairement sec et peu séduisant, sorti d’on ne sait quel PowerPoint d’une OMG qu’on imagine hébergée à Zurich. Selon Wikipedia, le développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre les générations futures. Ce terme est notamment instrumentalisé par des multinationales pétrolières qui vantent leur engagement écologique à coup de spots publicitaires, alors même que leur responsabilité face à un monde surpollué est considérable. Ce double discours - entre une réalité violente d’une part, et d’autre part la création d’un discours soft et consensuel visant à atténuer cette violence, à la rendre acceptable et acceptée par tous - est au cœur de la proposition de l’artiste, qui organise pour cette exposition un jeu autour de ces multiples paradoxes qui peuplent notre réalité.

Dans un espace sans lumière naturelle, à l’allure de hall d’aéroport aseptisé, du mobilier hétéroclite compose un paysage qui joue sur les antagonismes : ici un bar high-tech semblant nous accueillir pour partager un verre se révèle être un bar de douane qui contrôle et exclut le visiteur ; là un ensemble de lits-bancs semblant nous inviter au repos suggère d’étranges lits high-tech pour réfugiés ; enfin au mur des tags politiques provenant d’Iran, où l’artiste a effectué le tournage de son prochain film, deviennent des éléments décoratifs orientalisant vidés de leur message transgressif. Dans le film Monopoly, un groupe d’adolescents joue à ce jeu mondialement connu et se partage l’Ukraine avec beaucoup d’ingéniosité et un pouvoir de négociation, de spéculation indéniable, comme si la société capitaliste, à travers le jeu, orchestrait dès l’enfance un entrainement à ses logiques.
Avec "Développement durable", Neil Beloufa compose sans nul doute une exposition à la tonalité sombre dans une époque qui ne l’est pas moins. Son exposition au Mrac joue, avec beaucoup d’acuité, des antagonismes entre singularité et standardisation, entre le corps et ses avatars virtuels via les nouvelles technologies, entre violence et marketing, entre domination et émancipation.

* in Tristan Garcia « Forme et objet – un traité des choses », 2011.

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Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole
Neil Beloufa « Développement durable », vue de l’exposition au Mrac, Sérignan, 2017. Photographie Aurélien Mole