"Christmas on Earth Continued"
Maxime Rossi
Du 5 novembre 2017 au 18 mars 2018
Commissariat : Sandra Patron
Procédant par collages sonores et visuels qui s’inspirent tout autant de l’histoire de l’art que de la pop culture, de la science que de la magie, Maxime Rossi développe depuis quelques années un travail fortement influencé par la musique, ses procédés scéniques, ses techniques de sample et de remix, ses logiques de production collaborative et le rapport direct et émotionnel que la musique engage avec le spectateur. Non sans malice, son travail se plaît à convoquer ces icônes musicales qui peuplent notre imaginaire collectif : des partitions de Frédéric Chopin maculées de taches produites par l’arbre qui surplombe la tombe du musicien (Père Lachaise, 2010), jusqu’à la participation de la chanteuse Emma Daumas – ex de la Star Academy, pour son projet "Sister Ship" (2015) – Maxime Rossi agit comme un chef d’orchestre qui reconfigure la temporalité de ses expositions à la manière d’un opéra cinétique.
Son exposition au Mrac prolonge et développe ces multiples enjeux. Spécifiquement conçue pour le musée, "Christmas on Earth Continued" se présente comme un thriller psychédélique des contre-cultures sixties. Le point de départ du projet est la chanson "Louie Louie", un tube planétaire popularisé en 1963 par le groupe de rock The Kingsmen et repris par la suite des centaines de fois par des artistes aussi divers et prestigieux que Chuck Berry ou Iggy Pop. Ce hit connaîtra une vie mouvementée, les paroles totalement inintelligibles de son chanteur Jack Ely ayant éveillé les soupçons du redoutable directeur du FBI Edgar J. Hoover, qui craignait qu’elles aient un caractère pornographique. En pleine guerre froide, dans un moment d’intense paranoïa aux États-Unis, ses agents ont ainsi passé des mois à étirer et déconstruire la chanson pour y chercher des messages cryptés et déterminer son côté soi-disant obscène. Le titre "Louie Louie" aurait été par la suite repris par Pink Floyd en 1967 lors du festival de musique "Christmas on Earth Continued" qui restera dans les mémoires comme un naufrage artistique et financier, et qui verra la déchéance physique de rockeurs tels que Syd Barrett ou Jimi Hendrix. Le nom du festival est par ailleurs un hommage au film éponyme de 1963 de la vidéaste expérimentale Barbara Rubin, figure légendaire de l’underground américain, proche de Andy Warhol et des Velvet Underground, un film qui est une ode à la jeunesse et à ses tourments, au sexe et au rock’n roll, dans une esthétique psychédélique et érotique qui fera date.
Partant de cet entrelac d’histoires, où se mêlent faits réels, rumeurs colportées et faits alternatifs, Maxime Rossi a constitué à Londres un groupe de rock, Dirty Song, emmené par David Toop, une figure de la musique ambiant, qui a travaillé autant avec le chanteur Brian Eno qu’avec le plasticien John Latham. Au son de la voix envoûtante et gutturale de Phil Minton, vocaliste génial qui a notamment travaillé avec le plasticien Christian Marclay, Dirty Song propose une improvisation à partir de la chanson "Louie Louie", sur la base des annotations du dossier du FBI, mais aussi de la version instrumentale de Pink Floyd que le groupe avait composé pour John Latham. La performance vocale de Phil Minton est filmée en studio par Maxime Rossi et donne lieu à un film à la puissance chamanique indéniable. Dans un système de rotation aléatoire générée par ordinateur, ces images du chanteur se mixent et se fondent avec celles tournées à la Solfatare en Italie, un cratère de boue sulfatée dont les éclaboussures visqueuses produisent une analogie avec le côté prétendument obscène des paroles et le magma des paroles proposées par l’interprétation de Phil Minton.
Tous ces éléments, de l’improvisation musicale à la pochette vinyle des Dirty Song, sont ensuite mixés et recomposés dans l’espace du musée. Maxime Rossi y propose une installation immersive qui compose une partition musicale et visuelle, les différents sons et images spatialisés et diffractés agissant comme les indices de cet événement psychédélique imaginaire. Grâce à un algorithme qui remonte constamment les images du film en temps réel, l’exposition est orchestrée pour jouer de versions et d’interprétations sans aucune boucle ni répétition, proposant au spectateur une expérience directe et sensorielle à la manière d’un concert live, sous forme de dédicace contemporaine à la chanson "Louie Louie"