"La Chasse"
Lucy Skaer
Du 25 mars au 5 juin 2017
Commissariat : Sandra Patron
Au sein d’installations multiformes, mais où la sculpture et le dessin revêtent une importance toute particulière, Lucy Skaer développe un processus de travail où les objets et les images, à la fois reconnaissables et abstraits, sont transformés par toutes sortes de manipulations, répétitions et décalages d’échelle. L’artiste opère par prélèvements, répliques, distorsions, citations, au gré de rencontres, de recherches, et d’une fascination assumée pour l’histoire de l’art. Inspirée par les liens féconds que le réel entretient avec le sublime, Lucy Skaer s’efforce de révéler l’essence même de certains objets et matériaux pour donner une interprétation personnelle et suggestive d’éléments du passé. Par-delà leur diversité apparente, toutes ses œuvres explorent les mécanismes par lesquels nous donnons du sens aux choses que nous aimons et croyons connaître : photographies de presse reproduisant des chefs d’oeuvre célèbres, agrandies et redessinées ; extraits de vieux films retravaillés jusqu’à l’abstraction ; morceaux épars recomposés ; accessoires de notre environnement quotidien réduits à l’empreinte de leur forme.
L’exposition au Mrac Occitanie est sa première exposition personnelle en France. Lucy Skaer y présentera un ensemble de pièces existantes de ces cinq dernières années ainsi que de nouvelles productions, dont l’une, Eccentric boxes, est le fruit d’une coproduction entre le Mrac et la Biennale de Rennes « Incorporated ». Eccentric Boxes (2016) est une installation faite dans et à partir de la maison familiale de l’artiste, maison qu’elle transforme et déplace progressivement. Elle y effectue depuis plusieurs mois une série d’interventions consistant à modifier, prélever et substituer certains éléments architecturaux ou mobiliers, processus qu’elle documente par des photographies. Pour Eccentric boxes, Lucy Skaer a prélevé le parquet du salon en y incrustant certains meubles et en retirant les lattes pour construire un coffre. Chacune de ses interventions laissant des cicatrices dans le bois, ces incisions sont mises en relief par incrustation de pierres et de céramiques, enluminant littéralement le plancher avant qu’il ne soit transformé en boîte scellée. Ici, le processus est autant physique que psychologique et matérialise la nécessité de la mémoire dans nos histoires familiales et celle non moins pressante du déracinement.
Sticks and Stones (2013-2017 en cours) est une série de sculptures initiée à partir d’une planche d’acajou rouge. Cette essence, précieuse et sacrée, a été exploitée au Brésil à partir de la fin du 19ème siècle pour la fabrication de navires et surtout exportée en masse pour la production de meubles peu coûteux fabriqués au Royaume-Uni. À partir de cette planche d’acajou chargée d’histoires, l’artiste a fait réaliser huit copies, déclinées en différents matériaux comme le marbre, l’aluminium, le bronze ou le papier mâché. Chaque nouvelle sculpture étant moulée sur la précédente, la forme initiale de l’objet a ainsi progressivement évolué, offrant une série d’étranges sculptures horizontales posées à même le sol. À travers cette variation sculpturale, Lucy Skaer explore différentes strates historiques et culturelles qui s’inscrivent dans l’épaisseur ou à la surface des objets. Dans One Remove (2016), produite à l’occasion de son exposition au Witte de With, deux lignes de tables ovales obstruent le passage du visiteur. L’une est composée de tables d’inspiration moderniste, l’autre de tables néoclassiques en acajou parcourues d’une ligne de lapis-lazuli. Au sol, un tapis marocain fait écho à l’emboîtement sculpté des tables modernistes. Ici des objets domestiques se métamorphosent en sculpture, offrant un condensé de l’histoire des formes qui évoluent au gré des époques et des cultures. Dans cette ambiguïté entre objet sculptural et objet fonctionnel, tout à la fois abstrait et narratif, Lucy Skaer nous livre une œuvreau pouvoir de séduction étrange, tout à la fois familière et mystérieuse.
Enfin, Lucy Skaer propose au Mrac une toute nouvelle œuvre qui consiste à transformer sa collection personnelle d’objets abstraits en animaux. Ces objets, manufacturés ou trouvés dans la nature, que l’artiste collectionne au gré de ses déplacements pour la séduction qu’ils lui inspirent, deviennent ainsi littéralement les os de créatures étranges afin d’en composer leur squelette. Comme souvent chez Lucy Skaer, cette pièce s’inspire des traditions anciennes : au Moyen-Age, les proies dans les scènes de chasse, leur capture et leur dépeçage, sont dépeintes avec une satisfaction et un désir qui pourraient heurter notre sensibilité contemporaine. L’artiste établit par ce biais un parallèle entre l’objet et la mort, entre l’animé et l’inanimé, entre le désir et sa satisfaction, et in fine entre l’abstraction et la narration.