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Anna Meschiari. "Les dormeur.euse.x.s"

Du 11 octobre 2025 au 22 mars 2026

Anna Meschiari, septième lauréate du Prix Occitanie Médicis 2024, propose une exposition inédite pour le Mrac à Sérignan.

Le temps de la résidence de trois mois à la Villa Médicis à Rome, lui a permis d’explorer de multiples sources d’influences comme l’art étrusque, les projets de l’architecte Marta Lonzi (membre dans les années 70 du mouvement « Rivolta Femminile ») ou encore de s’approcher de la figure de Plautilla Bricci (première femme architecte et peintre baroque reconnue de l’histoire). Ces prospections ont été complétées par des recherches issues d’ouvrages ou d’archives provenant de bibliothèques ou de musées italiens et français.

Forte de ce répertoire de formes, d’idées et d’intentions, Anna Meschiari livre une installation immersive mêlant pour la première fois vidéos, peintures sur toiles libres, sculptures et architecture au sein d’un même espace.


"Rome - Marseille - RIGA, et aujourd’hui Sérignan. Bienvenue. Vous voici au sein de l’exposition d’Anna M. au Mrac Occitanie pour laquelle j’écris ce texte mais que je n’ai pas encore vue. Alors, je vais l’imaginer, à travers les conversations que je partage avec Anna et des images qui me restent en tête depuis ma visite dans son atelier, à Saint-Pierre-de-Trivisy, en mai. Je voudrais vous parler de notre rencontre, comme d’une porte entrouverte à travers laquelle je glisse un œil, une possible clé d’observation des gestes et des tentatives d’Anna. On s’est rencontrées à Rome, en octobre 2024. Nous étions en résidence à la Villa Médicis. Je photocopiais des livres de boulangerie en quête des pains de survie et nous avons commencé à échanger. Elle allait à la Casa Internazionale Delle Donne [1] pour quelques recherches autour de Marta Lonzi, architecte italienne, qui concevait et réalisait des espaces domestiques, de vie et de travail. Elle m’a proposé qu’on y aille ensemble et on a marché jusqu’au centre d’archives. Je ne savais pas trop ce que je cherchais : je travaille avec et autour du banquet, de la nourriture, de la commensalité. Je crois que ça plaît à Anna parce qu’elle aime faire à manger quand elle n’est pas seule, pour les autres et qu’elle aime en parler. Elle avait préparé toute une liste d’articles et de documents autour de Marta. J’avais envie d’en savoir plus avec elle. Puis, elle m’a aidée à traduire quelques phrases, quelques mots : cuisine, cantine solidaire, autogestion, lutte - cucina, mensa solidale, autogestione, lotta. L’archiviste nous a raconté que la rubrique Cuisine avait été un outil pour des femmes pour faire passer des messages féministes dans un magazine féminin national grand public. Anna a pu consulter quelques documents et nous avons continué à discuter. Elle me parlait d’architecture féministe, d’espaces qui mêlent la vie quotidienne et le travail, de formes ouvertes, accueillantes, totales. Je crois que c’est l’une des choses qui m’a le plus plu chez elle : son désir de créer des motifs qui enveloppent les corps, des environnements dans lesquels s’immerger.

Rome - Marseille - RIGA - Sérignan. Parmi cette liste, il y a un nom qui n’est pas seulement une ville mais une bibliothèque vivante et curieuse, qui occupe quelques murs, du sol au plafond, briques de papiers agencés selon leurs spécificités : littérature, vie pratique, catalogue de tapisserie, cuisine, ésotérisme, guides de randonnées, langues sifflées, Bomarzo [2], chats, chiens, serpents. Ce lieu est également le projet de résidence d’artistes qu’Anna M. nourrit avec Philippe S. Il s’agit de RIGA, située dans un ancien hôtel d’un village du Tarn, au sein duquel j’ai été conviée à passer quelques jours et quelques nuits. Je suis d’abord arrivée à Albi. Nous avons visité sa cathédrale, peinte du sol jusqu’au plafond, dans laquelle Anna m’a fait remarquer, ici ou là, des formes dans les motifs. En effet, dans les formes géométriques qui se répétaient à l’infini, on pouvait deviner des pains, des poissons. Se cacher dans le motif. Infiltrer des formes dans des décors, des ornements. Je ne le savais pas encore, mais cette observation était un ardent indice sur son travail. J’avais ramené quelques navettes à la fleur d’oranger que nous avons mangées dans son atelier, situé à quelques mètres de RIGA. « Voilà, bienvenue », m’a-t-elle dit. Je me retrouvais face aux toiles et aux canapés que vous pouvez voir, vous, aujourd’hui, au Mrac à Sérignan. Les toiles étaient suspendues, immenses, les unes derrière les autres, comme un gigantesque catalogue de formes, issues des marbres vus dans certaines églises romaines. Et puis, nous nous sommes assises devant trois canapés recouverts de toile peinte par Anna. Les motifs des peintures se brisent et se disloquent selon les angles de la forme matelassée. « C’est pour accueillir les publics, je voudrais que les personnes qui viennent puissent s’installer confortablement, prendre le temps » m’affirme-t-elle. Les couleurs sont joyeuses, douces, acidulées. « Et puis, tu vois, le motif de la femme peinte sur un canapé, et bien, moi, je m’approprie directement les objets, je les recouvre. » Anna est peut-être devenue cette femme peinte sur canapé dans l’histoire de la peinture et qui reprend le pouvoir sur la peinture. Les gestes sont discrets et ambivalents. Le travail d’Anna n’impose pas un sens, une seule et unique façon de voir et de penser mais un kaléidoscope d’histoires à se créer soi-même, au contact de ses œuvres. Nous avons dîné ensemble ce soir-là et Anna cherchait des canapés à recouvrir, peut-être ceux sur lesquels vous êtes, ou lisez ce texte. J’espère que vous êtes agréablement installé·e·s. Quelques jours après, nous avons cueilli du sureau pour en faire du sirop. Il est préférable de laisser les fleurs macérer dans l’eau, de patienter afin que les vapeurs florales infusent dans la préparation aqueuse. De quelques heures à une nuit. Ensuite, faire bouillir avec du sucre. Nous ne l’avons pas goûté ; nous nous sommes dit que nous en boirions quand on se reverrait. Anna m’a ensuite raccompagnée à Albi pour que je prenne le train pour Marseille et m’a proposé d’écrire le texte de son exposition, celle dans laquelle vous êtes maintenant. J’étais pleine d’interrogations : Que dire d’une pratique artistique qu’on apprend à peine à connaître ? Comment écrire pour une personne qu’on a rencontrée récemment et dont les liens amicaux s’entrelacent au travail ?

Rome - Marseille - RIGA - Sérignan. Je rentre à Marseille. Des radiations lumineuses et solaires étirent les jours. Je repense à nos derniers échanges. Le travail d’Anna ne se fige pas, et ne peut le faire : il se trame grâce aux relations qu’elle initie. Peut-être est-ce pour cela qu’il est difficile de trouver un titre définitif à cette exposition. Mais tout en écrivant, Anna me partage ses pistes : Les dormeur.euse.x.s. Elle m’annonce que les murs seront peints en nuance de gris, comme une nuit qui se lève, un soleil qui ferme les yeux : les murs seront fragmentés en noir charbon - gris brouillard - cendre d’acier - blanc de lune - blanc de roche. Des toiles seront également suspendues au plafond tandis que le sol sera tapissé de moquette qui matelassera nos pas. Je lui dis que je vais écrire ce texte et je lui propose qu’elle s’infiltre ici et là, qu’elle s’y glisse, qu’elle s’y traduise. On échange quelques mails. Elle me dit que ses gestes sont parfois maladroits, qu’ils ne visent pas à être parfaits, mais qu’ils sont les témoins de relations entre les formes, entre les médiums - peinture, vidéo, installation -, entre les motifs qui se transforment d’un support à l’autre. Anna M. parle plusieurs langues : certains mots, certains sentiments n’ont pas d’équivalents d’une langue à l’autre. Je me dis que c’est aussi ça la matière que façonne Anna : celle qui se transforme, se modifie d’une chose à l’autre, d’une forme à un bruit, d’une texture à un son, d’une surface à un motif, sans savoir exactement comment ce glissement s’opère mais qui raconte des histoires, des mouvements, des gestes, des doutes, des rencontres. La mise en exposition se précise : il y aura un dispositif en matière souple et transparente qui fragmente l’espace tout en permettant aux regards d’accéder à l’ensemble des pièces selon vos déplacements, comme une sorte de labyrinthe visuel où les choses ne sont pas réellement cachées, mais à explorer. Je pense aux open space et à l’illusion de la transparence [3], aux espaces ouverts et aux systèmes panoptiques de surveillance [4]. Mais ce n’est pas de ça dont il est question ici, et Anna M. désire un espace qui serait même ouvert la nuit si c’était possible. La nuit, les rêves, les insomnies. Les dormeur.euse.x.s parviennent-ielles à se reposer ou veillent-ielles sur notre sommeil ?

Rome - Marseille - RIGA - Sérignan. Les souvenirs reviennent de manière non linéaire et nous trompent. On ne sait plus exactement comment tel événement s’est déroulé ni quand il a eu lieu. J’ai l’impression de connaître Anna depuis plus longtemps que quelques mois. On ne sait pas s’il y a un mot pour cette sensation. Elle m’évoque alors la vidéo qu’elle présentera au Mrac Occitanie. Elle sera montrée en boucle, sur cinq écrans. Chaque vidéo débute avec quelques secondes de décalage avec la précédente. Le son quant à lui est synchronisé sur une seule vidéo : les images diffusées par les autres écrans ne correspondent pas au son émis dans l’espace. Des décalages se créent alors, des interstices au sein desquels s’immiscer ou jeter un œil, ou bien retenir une porte, comme celle que nous avons maintenue quand nous avons voulu visiter un immeuble où Marta Lonzi avait habité. C’était à Rome. Nous avons seulement pu entrer dans le hall et le patio de l’immeuble. Un chat nous regardait, allongé. Anna nous donne ici quelques clés d’un espace temporaire : elle souhaite créer un environnement qui puisse dire des choses qu’elle ne peut pas formuler avec des mots.
Je me demande comment vous, vous l’habiterez.

À bientôt, S."

1 Casa Internazionale delle Donne, Via della Lungara 19, Rome, Italie
2 Anna Meschiari, Ogni pensiero vola, 2020, installation temporaire dans l’espace public, contreplaqué, papier affiche, 600 x 450 cm, Viterbe, France, Revenir au monde, festival AFIAC, curateur Antoine Marchand
3 Beatriz Colomina, “X-Ray Architecture”, 2019, Lars Müller
4 Anna Meschiari, Crafted Augmented Reality, 2018, installation temporaire, plastique transparent pour emballer les fleurs, 500 x 100 x 45 cm, Côme, Italie, Laboratorio aperto, Fondazione Antonio Ratti, curateur·ice·s
Annie Ratti, Lorenzo Benedetti, Gregorio Magnani


Anna Meschiari est née en 1987 en Suisse. Elle vit et travaille à Saint-Pierre-de-Trivisy en France. Elle est diplômée de l’École supérieure des arts appliqués de Vevey (Suisse, 2014) et d’une licence en Anthropologie obtenue à l’Université Jean Jaurès (Toulouse, 2024). Elle a exposé dernièrement au Club 44 (La Chaux-de-Fonds, 2024) et à la Galerie Mercier & Associés, Paris (2025, 2021). En parallèle de sa pratique artistique, Anna Meschiari est également engagée dans la réflexion et la diffusion de la création contemporaine à travers RIGA, lieu de résidence et de prolongements éditoriaux dont elle assure la co-direction.

Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole
Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole
Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole
Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole
Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole
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Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole
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Anna Meschiari, vue de l'exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole Anna Meschiari, vue de l’exposition « Les dormeur.euse.x.s », Mrac Occitanie, Sérignan, 2025. Photo : Aurélien Mole